En France, un refus d’obtempérer intervient toutes les 20 minutes. En 2022, c’est ce qui a failli coûter la vie au MDC Michaël MATHEY. Affecté au peloton motorisé de St Aubin de Blaye, il est percuté de plein fouet par un véhicule qui refuse d’obtempérer aux injonctions de s’arrêter. Aujourd’hui paraplégique et contraint de se déplacer en fauteuil roulant, il témoigne de son accident.
Aux côtés du Major Pierre-Yves DUMEZ, secrétaire général de la CNG et conseiller concertation de 3ème niveau de la région de gendarmerie Nouvelle-Aquitaine, il évoque l’importance du soutien de l’Institution et de la Caisse Nationale du Gendarme suite à cet événement.
Débutant sa carrière en 1993 à l’occasion de son service militaire, c’est en tant que GA puis GAV que Michaël MATHEY découvre le terrain et décide de faire carrière au sein de l’Institution.
Il intègre en 2003 l’École de Montluçon avant d’être affecté dans un escadron à Beaune. Pendant sept ans, il y découvrira notamment l’outre-mer et l’OPEX. Après un changement de subdivision d’arme, il rejoint la Gendarmerie Départementale en région PACA. Son goût pour l’intervention l’amène ensuite à intégrer le Peloton de surveillance et d’intervention de la Gendarmerie (PSIG) de Pertuis (84).
Quatre ans plus tard, il bascule en ambassade au Tchad : une expérience qui le marquera particulièrement. De retour en métropole, il intègre finalement un Escadron Départemental de Sécurité Routière en Gironde et est affecté au Peloton Motorisé (PMO) de St Aubin de Blaye.
Pierre-Yves DUMEZ (PYD) – C’est le 19 octobre 2022 que tu as été percuté par un automobiliste ayant refusé d’obtempérer. Peux-tu nous raconter les circonstances de cet accident ?
Michaël MATHEY (MM) – Bien sûr. J’étais donc au sein du PMO de St Aubin de Blaye depuis deux ans. Nous avions la charge d’un tronçon de l’autoroute A10 très fréquenté en direction de Paris.
L’accident a eu lieu en octobre 2022, lors d’un contrôle où j’étais PAM (Premier à Marcher). Nous accompagnions en renfort une autre unité sur une petite route qui jouxte l’autoroute, en sortie de commune à Pugnac, au lieu-dit Saint Urbain, sur une zone 30. Nous avions l’habitude d’y pratiquer des contrôles.
Une fois installés, nous avons entendu au loin un véhicule arriver à vive allure. Au moment où nous nous sommes retrouvés en visuel, c’est-à-dire à peu près à 200 mètres de ma position, le véhicule s’est arrêté brusquement. Il s’agissait d’une petite route de campagne et je me suis donc positionné dans l’axe pour lui faire signe en vue du contrôle.
M’apercevant et comprenant qu’un contrôle allait être réalisé, le conducteur a décidé de mettre pied au plancher. Voyant cela, je me suis décalé sur la voie opposée. Le conducteur a continué d’accélérer, le véhicule dégageait des fumées noires. Je me suis encore décalé pour être quasiment sur l’accotement mais, arrivé à ma hauteur, pour des raisons qu’il n’explique pas, il me percute et m’emporte.
PYD – Comment as-tu été pris en charge à l’issue de cet accident ?
MM – J’ai été transporté par hélicoptère en état d’urgence absolue. Compte-tenu de la vitesse et du choc, les blessures occasionnées étaient importantes. J’ai été transporté à l’hôpital de Pellegrin où je suis resté 15 jours en réanimation.
Le fait d’être immobilisé, branché avec des tuyaux partout a été un moment assez difficile pour moi, presque traumatisant, même si l’on ne prend pas immédiatement conscience des choses, étant donné que l’on est sous sédatif.
Je suis finalement resté trois mois dans cet hôpital, avant de partir en ortho. Les séquelles étaient importantes : j’ai notamment subi un traumatisme crânien avec une dissection de la carotide, l’arcade brisée, une perforation du diaphragme, mon estomac est allé se loger sous le poumon, l’intestin a été sectionné… On a réalisé une arthrodèse, c’est-à-dire qu’une dizaine de vis solidarisent désormais mes vertèbres sur la partie haute, au niveau T3/T4. Je suis à la limite de la tétraplégie. Ma jambe a également été brisée, les ligaments croisés sectionnés et le bassin fracturé.
Ensuite, il y a l’effet blast qui survient après l’impact : c’est l’onde de choc qui est venu déplacer, au niveau de la moelle épinière, le liquide céphalorachidien et qui a occasionné une nécrose au niveau épinière et qui a causé la paraplégie. C’est extrêmement difficile à vivre au quotidien et particulièrement douloureux.
« Lorsque l’on se retrouve en centre de rééducation, on ne pense pas à sa vie professionnelle : ce n’est pas la priorité. Mais au fil du temps, on prend conscience qu’il y a un après »
PYD – À l’issue de ce séjour de 3 mois au centre hospitalier de Bordeaux, tu pars en rééducation à la Tour de Gassies. Comment s’est passé ce séjour ?
MM – Je suis resté à peu près 7 ou 8 mois en rééducation. On y réapprend peu à peu à maîtriser et contrôler son corps et travailler sur les conséquences liées à l’accident. Lorsque l’on se retrouve en centre de rééducation, on ne pense pas à sa vie professionnelle : ce n’est pas la priorité. Mais au fil du temps, on prend conscience qu’il y a un après.
Durant toute cette période, j’ai eu la chance d’avoir un réel soutien, autant familial que professionnel. L’accompagnement familial a été essentiel, fondamental. Mais je tenais ici à mettre en exergue le soutien que j’ai eu du point de vue professionnel : cela a été une vraie surprise et un énorme soulagement sur de nombreux aspects et si je suis serein aujourd’hui vis-à-vis de mon avenir auprès de l’Institution, je le dois essentiellement au commandant de région aujourd’hui IGAG, le Général DUBUIS. Son empathie et son sens de l’humain ont été précieux. Je n’oublie pas non plus ta présence ainsi que tous ceux qui gravitent autour du Général, de près ou de loin : je pense à la Colonelle CUADRAO ou au général BARBEY, mais aussi au commandant TAMET, commandant l’EDSR et j’en oublie nécessairement.
Si je n’avais pas été accompagné à ce moment-là, cela aurait été bien plus compliqué et j’aurai peut-être sombré psychologiquement. Les conseils du commandant de région ont été fondamentaux et je le remercie encore pour cet accompagnement : j’ai pris conscience que je souhaitais continuer, notamment pour faire ce que je fais aujourd’hui, c’est-à-dire porter l’écho de ce qu’il m’est arrivé et avoir cette résonance auprès des camarades.
« Quand vous êtes un proche, lorsque vous apprenez le drame par téléphone, c’est la foudre qui vous tombe dessus. »
PYD – Tu l’as évoqué, je crois que dans ton parcours, une personne – également en tenue et qui t’accompagne dans la vie – a été déterminante dans le soutien que tu as reçu. Est-ce que tu peux nous en dire quelques mots ?
MM – Tu as raison et il s’agit bien entendu de ma moitié. On parle beaucoup des conséquences de mon accident, mais on oublie souvent de parler de ceux qui nous accompagnent de près ou de loin, et plus particulièrement de nos proches, nos parents et nos compagnes.
Il faut bien se rendre compte à quel point c’est terrible quand vous êtes un proche : lorsque vous apprenez le drame par téléphone, c’est la foudre qui vous tombe dessus, c’est extrêmement difficile. Et une fois l’annonce digérée, il y a là aussi un besoin d’accompagnement : certes ma conjointe avait sa famille à ses côtés, mais elle a aussi pu compter sur le soutien de ses chefs et de la DGGN, afin de prendre le recul et le temps nécessaire pour encaisser le choc. L’Institution lui a même permis de se rapprocher car étant à Paris, il était assez difficile de faire la liaison jusqu’à Bordeaux au quotidien.
PYD – Je crois que le fauteuil dans lequel tu te trouves aujourd’hui symbolise à lui seul la difficulté de ton parcours. Je remercie à ce sujet le sous-directeur de l’accompagnement du personnel d’alors, le Général Gwendal DURAND, aujourd’hui dans le Grand Est, mais aussi la Colonelle Audrey NOUTS, qui est à la Mission Handicap.
MM – Effectivement, au-delà de la rééducation, l’obtention d’un fauteuil roulant et de matériel adapté a été un vrai parcours du combattant.
Il se trouve que le chauffard dont j’ai été victime n’était pas assuré, ce qui a engendré de lourdes conséquences financières pour moi. Heureusement, j’ai pu bénéficier d’un maintien de salaire, ce qui m’a aidé à acquérir, petit à petit, les accessoires dont j’avais besoin dans le cadre de mon handicap.
Mais un fauteuil roulant de base coûte déjà près de 3.000 euros et va peser 12 ou 13 kg. Et si l’on recherche un fauteuil plus maniable, plus léger, prévu pour une utilisation quotidienne et permettant de gagner en autonomie, cela nécessite des matériaux plus haut de gamme et entendre un coût plus important. Or, lorsque l’on est handicapé, c’est précisément l’autonomie que l’on cherche à atteindre.
L’accessibilité et tout ce qui gravite autour du handicap est extrêmement onéreux et les aides sont précieuses. C’est aussi pour cela que j’insiste sur le fait d’être bien protégé, car c’est quand il nous arrive quelque chose que l’on prend conscience que l’on n’est pas ou pas assez couvert. Beaucoup de gens ont pu le constater avec leur propre assurance quand ils ont eu des pépins ! D’autant plus quand on sait que certains organismes comme la Caisse Nationale du Gendarme proposent un soutien pour une cotisation modique d’à peine le prix d’un café ! Je remercie d’ailleurs la CNG pour son aide, qui a été un levier important dans l’acquisition de ce fauteuil. Désormais, je réfléchis à l’installation d’une cinquième roue motorisée qui me permettra, je l’espère, de gagner encore davantage en autonomie.
« Si j’avais un conseil à donner à mes camarades, c’est de ne jamais oublier que le danger est omniprésent. »
PYD – Je dis souvent qu’être gendarme, ce n’est pas un contrat de travail mais un contrat d’engagement. Avant cet accident, tu as passé 25 ans au sein de l’Institution à l’occasion desquels tu avais déjà été confronté à des situations particulièrement risquées. Comment as-tu vécu cela ?
MM – On se rend compte que le danger est omniprésent et que l’on n’est jamais, jamais à l’abri. Quel que soit son degré d’expérience ou de connaissance des risques et des dangers.
Lors de mon affectation en Ambassade au Tchad, je m’étais particulièrement préparé : j’avais construit une bulle sécuritaire car on sait qu’il s’agit d’un pays à risque, avec son lot de dangers et d’imprévus.
A mon retour en métropole, ma plus grande erreur a été de considérer que le danger était derrière moi et de négliger cette bulle sécuritaire.
Si j’avais un conseil à donner à mes camarades, c’est de ne jamais oublier que le danger est omniprésent, aussi bien dans sa vie personnelle que dans sa vie professionnelle. Il est important de s’assurer d’être bien protégé, à chaque instant. C’est essentiel, vraiment essentiel.